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Claude MALHURET - Déclaration du Gouvernement sur la politique migratoire de la France et de l'Europe

Monsieur le Président,

Monsieur le Premier Ministre, Madame et Messieurs les Ministres, Mes chers collègues,

Fallait-il ouvrir ce débat ? Pour les professionnels de l’indignation, c’est non. Le seul mot d’immigration, tel le marteau du médecin sur le tendon rotulien, déclenche la phrase réflexe : « Vous faites le jeu du Front National ». Les donneurs de leçons, qui aiment les mots pompeux, en ont trouvé un qui fait florès depuis quinze jours : Il paraît qu’Emmanuel Macron triangule. Ils veulent dire par là qu’il braconne sur les terres des autres.

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Débat sur l'immigration - contributions d'agir_ : tribune de Vincent Ledoux

 

TRIBUNE DE VINCENT LEDOUX

Le sujet des migrations est depuis longtemps accaparé par la droite extrême. Ses idées ont donc eu le temps de percoler et d’infuser dans l’opinion publique où elles prédominent. Elles vont d’ailleurs de pair avec l’inquiétude des Français quant à leur avenir dans la mondialisation. Enfin, en période de crise, l’étranger est de tout temps perçu comme le bouc émissaire idéal. Je suis l’élu d’une circonscription frontalière où le Belge fut longtemps l’étranger tout désigné pour porter le poids des difficultés économiques et sociales. Après le travail et le pain, c’est maintenant nos comptes publics et donc notre modèle social que l’étranger vient convoiter et menacer.
"Ce n’est pas parce que le pays est socialement tendu que l’on doit se priver de parler et de débattre des choses qui a-priori fâchent et divisent."
Certes, notre système d’accueil, d’asile et d’hospitalité, connaît des dysfonctionnements mis en lumière dans des rapports parlementaires. Il faut les regarder en face et les corriger. Mais prétendre que rien n’est bon dans l’immigration est une erreur fondamentale qu’il faut corriger avec l’arme d’arguments validés.
 Le Président de la République a donc raison de nous inviter à débattre de ce sujet essentiel qui touche à la relation des Français au monde et à leur envie d’ouvrir plus ou moins leur communauté nationale à l’étranger. Il relève aussi d’une volonté de ne pas laisser le RN seul à un moment où le venin de sa parole s’est fortement répandu dans le corps social. Ce débat pourrait donc être un véritable « piège à honnêtes gens » si d’autres voix, plus modérées et réalistes, ne portaient pas la contradiction et n’exposaient pas leur contribution.
J’ai pu éprouver la vigueur de la fachosphère lors de la publication de mon rapport au Premier ministre. Intitulé « Ouvrir nos territoires à la priorité africaine de la France - Du citoyen au chef de l’Etat », il s’est immédiatement transformé en « Ouvrir nos territoires aux Africains » sur les comptes Twitter de ses activistes ! La rhétorique connue est tout entière contenue dans ce message : « Pourquoi vouloir faire venir des africains en masse ? Pour les rendre esclaves ici ? Vous pensez pas qu’il y a pas assez de chômage pour nous Français depuis trois générations ? Vous pensez pas que le pays est déjà au bord de l’implosion ? Et vous voulez faire venir des mâles noirs sans aucune formation/diplôme vous êtes vraiment les ennemis de la France ! ».
S’ils avaient lu, ne serait-ce que son résumé, ils se seraient rendu compte que mon rapport présente des propositions concrètes pour mieux connecter nos territoires à l’Afrique, conformément à la priorité africaine de la politique étrangère de la France.
Car comme le Président, je suis convaincu de la nécessité de renforcer l’axe Europe-Afrique de part et d’autre de la MéditerranéeJ’y développe, entre autre, l’idée de faire des migrations des opportunités mutuellement profitables. Au passage je rappelle que les Africains migrent majoritairement à l’intérieur de leur continent et que le grand remplacement de la population européenne est une théorie fumeuse issue des fabriques à faire peur de la droite extrême et de ceux qui s’en rapprochent toujours plus, à pas de moins en moins comptés.
Combien de fois et notamment à travers la question épineuse des étrangers mineurs non accompagnés, n’ai-je pu observer combien la problématique migratoire s’imposait aujourd’hui aux territoires français et à leurs élus contraints de traiter cette question dans l’urgence. Elle s’impose à eux comme un fait accompli. Et c’est de cette manière peu amène que la mondialisation s’invite chez nos élus des villes, des départements et des régions et chez nos concitoyens. Or, je prétends que cet ordre des choses n’est pas inéluctable et que les charges d’aujourd’hui peuvent devenir les forces de demain dès lors que les territoires développent une dimension aujourd’hui inexploitée à travers leurs compétences et leurs ressources : passer d’une réponse d’urgence à une solution de développement durable s’appuyant sur un processus dynamique et économiqueLa mission que j’ai conduite a pu constater que de nombreux dispositifs existants sont mal connus et sous-utilisés alors qu’ils représentent une vraie possibilité d’orienter des flux migratoires croisés mutuellement profitables.
L’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII), unique opérateur de l’État français en charge de l’immigration légale, qui dispose de huit représentations à l’étranger, notamment au Maroc, en Tunisie, au Mali, au Sénégal et au Cameroun, est ainsi un acteur des mobilités croisées entre la France et l’Afrique par l’intermédiaire de deux dispositifs principaux qui me paraissent aujourd’hui sous-utilisés dans les pays d’Afrique sub-saharienne :
les aides au retour volontaire et à la réinsertion : l’aide au retour peut être accordée aux étrangers en situation irrégulière qui souhaitent quitter la France pour regagner leur pays. Elle comprend une assistance pour préparer le voyage, la prise en charge de frais de transport ainsi qu’une aide financière. Entre le 1er janvier 2018 et le 31 mai 2019, 572 retours effectifs vers des pays d’Afrique ont été comptabilisés par l’OFII. En complément ou indépendamment de l’aide au retour, une aide à la réinsertion peut également être accordée lorsque le pays de retour est couvert par un programme. Il peut s’agir d’une aide à la réinsertion, d’une aide à la réinsertion par l’emploi ou d’une aide à la réinsertion par la création d’entreprise.
le dispositif « Jeunes Professionnels », mis en œuvre dans le cadre d’accords bilatéraux entre la France et 16 pays signataires, vise à permettre à des jeunes, déjà engagés dans la vie active, d’approfondir leurs connaissances professionnelles par une expérience de travail dans une entreprise en France, dans le but d’améliorer leurs perspectives de carrière lors de leur retour dans leur pays d’origine. Dans ce cadre, 185 Visas long séjour valant titres de séjour ont été octroyés à des Africains, entre le 1er janvier 2018 et le 31 mai 2019.
Or, j’ai pu constater que tant les employeurs que les potentiels jeunes professionnels méconnaissaient l’existence et les avantages de ces différents dispositifs. C’est pourquoi je recommande vivement d’engager des démarches proactives pour faire connaître ces dispositifs par exemple en invitant les pays d’Afrique à affecter des volontaires dans leurs consulats en France pour promouvoir les aides au retour. Des « Jeunes ambassadeurs de l’Afrique » issues de la diaspora pourraient utilement les épauler !
Le recours à ce type de dispositif permettant la montée en compétence par le biais d’immersion de jeunes africains en entreprise en France - avec la perspective d’un retour de compétences dans le pays d’origine – constitue aussi une plus-value non négligeable pour les entreprises dans les réponses à des appels d’offre sur le continent africain. Il mérite donc d’être largement promu notamment auprès des CCI et des CMA et développé par notre administration.
Faute d’informations et de moyens, le remarquable dispositif « Jeunes Professionnels » Sénégal n’atteint que 40% de ses possibilités. Il faut le faire monter à 100% par la mobilisation des acteurs dans nos territoires et l’activer dans les autres pays sahéliens. Aujourd’hui, nos territoires accueillent des curés et des médecins africains, demain ils doivent être en capacité d’accueillir en formation davantage de jeunes professionnels issus de ce continent.
Cette difficulté témoigne aussi des à-coups du pouvoir politique dans la conduite des administrations au gré des alternances politiques. Ainsi, le mandat Hollande a-t-il privilégié l’asile à la migration professionnelle circulaire. Difficile à périmètre humain réduit de refaire aujourd’hui de la migration et de l’asile. On ne peut pas tous les 5 ans changer de cap. Il faut expérimenter, évaluer et tenir bon dans le temps les dispositifs qui sont les plus efficaces.
J’ai pu mesurer l’excellence de ce dispositif sur place à Dakar et auprès des entreprises utilisatrices de ma région. Il vise à sortir d’une logique qui relève pratiquement de l’assistanat, pour basculer vers une montée en compétence et une approche gagnant-gagnant. Le travail admirable fourni par l’OFII à Dakar illustre tout le potentiel de ce dispositif « sur-mesure », encadré et sécurisé par un accord bilatéral, qui a touché une cinquantaine de jeunes professionnels en 2017 puis en 2018, avec des retombées positives notables : création de viviers d’entreprises susceptibles d’accueillir ces jeunes pros, engagement citoyen des jeunes pros à leur retour et création d’emplois, ouverture des entreprises accueillantes vers les marchés africains... Si l’accord franco-sénégalais a défini la liste de 108 métiers concernés, la focale du dispositif, aujourd’hui largement placée sur les emplois de niche et hautement qualifiés, pourrait désormais être élargie vers d’autres compétences.
Nous avons donc le cadre et les outils mais nous ne savons pas aujourd’hui les développer et les accélérer. Je prône leur démultiplication en les ancrant davantage dans nos territoires. Car, le territoire et ses acteurs qui aujourd’hui subissent la migration peuvent dès aujourd’hui et si nous le voulons être les acteurs de sa gestion. Sa mise en oeuvre pourrait d’ailleurs faire l’objet d’un bilan de la coopération entre territoires dans le domaine des migrations croisées pour alimenter le débat parlementaire désormais annuel. Symétriquement, dans le cadre de circulation migratoire croisée, il serait fort judicieux d’appuyer le développement du dispositif Jeunes Professionnels vers les pays du continent africain afin que des Français, le cas échéant issus de la diaspora, puissent bénéficier de ce dispositif pour découvrir un environnement professionnel nouveau. Car il n’y a rien de mieux pour un jeune Français que de prendre la mesure des réalités africaines directement sur le terrain. De retour au pays, il ne perçoit plus les choses de la même manière et a les meilleurs armes pour combattre les simplismes et les mensonges et contribuer à une meilleure connexion de la France avec l’Afrique, et des Français avec les Africains !
Vincent Ledoux
Député du Nord
Rapporteur Spécial Budget Action et moyens extérieurs de l’Etat

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